Rencontre avec William Irigoyen, journaliste et présentateur d’Arte Info sur Arte.
William Irigoyen, qui êtes vous donc ?
J’ai 37 ans, je suis né en région parisienne … J’ai des origines basques comme mon nom l’indique assez bien …
Quel a été votre parcours professionnel et votre formation ?
Maîtrise de journalisme au CELSA (Sorbonne) et Deug d’allemand, Bac B
A la sortie du CELSA – stages au Lyon Figaro et la Tribune de Genève – j’obtiens un stage de deux mois à France 2 (service des sports), lequel stage s’est ensuite commué en piges pour le journal de Télématin et celui de la nuit … j’ai bossé pour d’autres émissions comme Polémiques (présentation Michèle Cotta) ou Thé ou Café (Catherine Ceylac) … j’ai également travaillé pour le Soir 3 (présentation à l’époque Henri Sannier) … le mensuel Grands Reportages ou La Cinquième (aujourd’hui France 5) …
En 2000, j’ai pris un an de congé sans solde après avoir gagné la bourse de la fondation franco-américaine (Trois mois à Atlanta à CNN puis WSB-TV et enfin Atlanta Journal Constitution) … Puis je suis allé faire un stage à la Hessischer Rundfunk (Francfort) … l’idée était de savoir si, plongé dans un autre environnement culturel et linguistique, j’arriverais à m’en sortir … expérience ô combien précieuse !
Je reviens en France et démissionne de France 2 … puis je pige pour RFI – je ne m’étais jamais confronté à la radio -, à TV5 et ARTE (Le Forum des Européens et Arte info où je suis entré grâce à Nathalie Georges qui présente ARTE REPORTAGE ) … j’ai dû me recentrer sur ARTE – où je suis désormais en CDD – qui me proposait de plus en plus de boulot … quand je ne travaille pas chez ARTE – une semaine sur deux – je donne à mon tour des cours au CELSA – où j’étais étudiant …
J’ai également fait des longs-formats pour France 3 (Thalassa : le yacht royal Britannia, la tragédie du Whilhelm Gustloff ou encore ARTE sur le réchauffement climatique dans le Détroit de Béring / L’archet de la paix au Proche-Orient, … )
En gros j’ai essayé de favoriser un parcours plutôt international dans la presse.
Vous êtes journaliste, qu’est ce qui vous a orienté vers ce métier, un fait particulier ?
L’élément déclencheur est, je pense, une dissertation d’histoire en première … totalement hors sujet mais j’entends encore le prof dire qu’elle était écrite comme un article de journal … il a bien fait d’exagérer, cela a certainement déclenché les choses même si après j’ai mis longtemps à verbaliser cette envie …
Quels autres métiers auriez vous voulu faire ?
Je crois avoir toujours voulu faire ce métier … j’ai bien eu ma période avocat … ou docteur en physique nucléaire – non, là ce n’est pas vrai – mais ça n’a pas duré bien longtemps … sinon, pianiste dans un cabaret berlinois dans l’entre-deux guerre … cette période de l’histoire allemande me passionne …
Qu’est ce que vous aimez dans votre métier et n‘aimez pas ?
On dit parfois que les sujets traités chez ARTE sont arides … que c’est compliqué … j’aime jouer avec les mots … l’idée est de provoquer une réaction chez le téléspectateur … qu’il soit attiré par un ton peut-être différent … contrairement à ce que l’on dit dans d’autres chaînes, beaucoup de téléspectateurs sont intelligents … beaucoup lisent, vont voir des expos, se documentent et s’informent … j’aime l’idée qu’on peut essayer de leur offrir autre chose … je n’aime pas le côté strass et paillettes du métier … je n’aime pas lorsqu’on se concentre davantage sur la couleur de votre cravate que sur ce que vous racontez … bref, le côté show-business … ce qui fait parfois assimiler le présentateur à un animateur … heureusement chez ARTE ce n’est pas le cas …
Comment considérez vous votre travail ? Est ce une sorte de « mission » que d’informer le public, un job comme un autre, une réelle passion ?
Comme une mission … pour éveiller, alerter … une mission pédagogique aussi … attention : il ne s’agit nullement de dire au téléspectateur ce qu’il faut penser … non, il s’agit plutôt de l’amener à se poser des questions … lui offrir une autre façon de voir les choses … bref, tenter un débat avec ceux qui nous regardent … regarder on vous dit ça – c’est le factuel – mais que se cache-t-il derrière ? … ce qu’on vous dit c’est une autre façon possible de voir les choses … une mission de remise en question de la parole d’acteurs institutionnels … il faut faire attention … voilà, l’idée c’est de dire au téléspectateur : attention ce que vous dit tel ou tel n’est peut-être pas forcément la vérité … je crois à l’idée d’introduire la notion de nuance paradoxalement – car mes lancements sont souvent considérés comme n’étant pas nuancés – …
Vous travaillez actuellement sur ARTE à la présentation d’Arte Infos par alternance avez vous d’autres activités ?
J’enseigne aussi au CELSA – école de journalisme de la Sorbonne – … J’ai également fait des longs-formats pour France 3 (Thalassa : le yacht royal Britannia, la tragédie du Whilhelm Gustloff ou encore ARTE sur le réchauffement climatique dans le Détroit de Béring / L’archet de la paix au Proche-Orient, … )
Pouvez vous nous décrire une de vos journées de travail et en quoi celui-ci consiste ?
Ma journée de travail commence à 7h … j’écoute les journaux radios jusqu’à 9h … puis direction le travail … je lis alors les journaux … puis lis les dépêches … première conférence de rédaction à 10h30 … je rentre à la maison – j’habite à côté du travail – … nouvelle écoute des journaux … puis retour au travail à 14h pour une autre conférence de rédaction – afin de confirmer ou non les choix des sujets du matin – … et ensuite j’écris le journal tout en veillant bien à réactualiser mes lancements …
J’écris donc mes lancements qui sont ensuite relus par la rédaction en chef … je ne suis moi-même pas rédacteur en chef du journal donc ce n’est pas moi qui décide au final … mais j’ai toute liberté d’exprimer un point de vue … même si mon avis n’est pas toujours pris en compte … une fois le journal terminé il y a un débriefing … ensuite je rentre à la maison vers les 20H30 … grosse journée donc mais qui passe vite et dans une très bonne ambiance … il m’arrive aussi de présenter des émissions spéciales … celles-ci nécessitent un gros travail de préparation … bref, je bosse beaucoup et j’adore ça … la preuve je suis très long …
Comment cela se passe t-il au niveau des choix rédactionnels entre les points de vue français et allemand, il y a peut être aussi des différences de traitements selon les pays et mentalités ? C’est comment le boulot à Arte, cool, « Arbeit, arbeit »…? (oh un cliché!)
Allemands et Français n’ont pas les mêmes façons de travailler … je dirais que les Allemands sont plus factuels … les Français ont tendance à mêler l’éditorial au factuel … je pense que le défi à l’info chez ARTE est que les Allemands se francisent et les Français se germanisent … on y arrive de temps en temps … les Français, me semble-t-il, sont plus enclins à jouer aussi avec l’image … alors que les Allemands chercheront plus le factuel …
Pendant vos journaux vous impulsez un certain ton qu’on n’a pas l’habitude d’entendre aux « jt classiques » des « grandes chaînes », ça donne une certaine fraîcheur et les journaux sont ainsi agréables à suivre, et surtout ils sont moins consensuels… Arte laisse t’elle plus de place à la liberté de ton ou de traitement ? Ce ton a t il un nom, la « Irigoyen Touch » ?
Pour répondre un peu à la question du ton, je pense que la forme est aussi importante que le fond … j’essaie modestement de faire venir des spectateurs en leur parlant de sujets a priori difficiles avec des mots simples mais pas simplificateurs … voilà … J’aime beaucoup le rythme … les phrases ciselées … et les raccourcis … ce qui contribue paraît-il à créer un style
L’idée est toujours de provoquer un débat … si le journalisme est un contre-pouvoir alors il doit l’assumer pleinement … j’essaie de faire mon métier le plus rigoureusement possible … il n’empêche qu’en tant que journaliste j’éprouve des choses … je suis choqué, en colère, amusé, révolté, scandalisé, mort de rire par rapport à des événements … comme n’importe quel citoyen … simplement, le métier que j’exerce me permet de relayer ces sentiments de citoyen normal … il y a peut-être de la causticité mais cette causticité est utilisée à des fins journalistiques … j’en ai assez des journalistes qui éprouvent des choses et qui, une fois à l’antenne, font comme s’ils dînaient avec le roi à Versailles, qu’ils n’osaient rien faire parce que l’environnement est solennel …
Je pense que chez ARTE il y a une plus grande liberté de ton … peut-être est-elle due à une audience plus confidentielle ? … peut-être serions-nous plus bâillonnés si l’audience triplait voire quadruplait, je m’interroge …
Ce que vous appelez la « Irigoyen Touch » – merci – se veut la descendante directe de la « Bruno-Roger Petit touch » … il s’agit d’un ancien présentateur du journal de la nuit sur France 2 …à la fin d’un journal, il a osé jeter ses feuilles … ce geste a été fait à cause de moi – Bruno l’a d’ailleurs dit lors d’une Interview, ce qui lui a d’ailleurs valu une mise à pied – … je lui avais en effet lancé un défi … – vous verrez qu’à la fin Bruno regarde vers la droite … je suis sur le plateau à ce moment-là … c’était un rituel … – extrait – je pourrais aussi vous citer comme référence Michel Honorin … un ancien d’Antenne 2 …
Regardez aussi un journal présenté par Bernard Langlois en 1982 – extrait – ça c’est du journalisme pur jus … et que c’est bien écrit …: ça pour moi c’est une référence … je vous avoue aussi qu’il y a une certaine jubilation intellectuelle à essayer de sortir des sentiers battus de la présentation d’un journal … j’aime la langue française … elle est d’une richesse incroyable … utilisons-là … histoire aussi de montrer que les journalistes possèdent parfois plus que dix mots de vocabulaire … cette passion m’a été transmise par une partie de ma famille enseignante … j’aime la lecture … et si je peux parfois accrocher l’attention avec des références culturelles – ARTE est une chaîne culturelle – alors tant mieux …
Pensez-vous ou aimeriez-vous un jour présenter un 20h sur une grande chaîne ? Ou y aurait-il d’autres choses pour lesquelles vous seriez tenté ?
J’ai travaillé sur France 2 pendant six ans … c’est une autre maison où les contraintes sont autres … je suis bien chez ARTE… En revanche j’ai une vraie fascination pour la radio … ce que fait Ali Baddou – France culture – par exemple ce matin c’était un vrai bonheur d’écoute avec des gens intelligents qui écoutent et rebondissent de manière aussi intelligente – ou Nicolas Demorand – France Inter – m’inspire un respect infini … car pour avoir aussi travaillé très modestement pour la radio – RFI – je sais le travail que cela nécessite … chapeau à ces deux-là …
Quels conseils donneriez-vous aux petits jeunes qui souhaiteraient embrasser une carrière de journaliste?
Je dis à mes étudiants : soyez curieux … travaillez sans cesse … lisez … y compris ceux qui ne pensent pas comme vous … demandez-vous ce que vous pensez réellement de tel ou tel problème … ne cherchez pas à vous aligner sur les positions majoritaires … soyez humbles … et quand vous savez des choses, ne lâchez pas prise … allez-y à fond … quitte, parfois, à choquer …
Vous qui êtes aussi professeur, que pensez vous des écoles de journalisme qui existent, et surtout des enseignements qui y sont prodigués, est-ce trop formaté ?
Oui et non … oui car maintenant on forme des gens à être performants techniquement en délaissant le fond … j’ai été moi-même stagiaire à France 2 en 94 … à cette période, on pouvait facilement distinguer les stagiaires réalisant un reportage : voix hésitante, attaque faible, conclusion hasardeuse, pas vraiment d’angle … aujourd’hui il est bien plus difficile de faire cette distinction … cela prouve que les jeunes journalistes ont énormément intégré l’aspect technique des choses … cela devient même une condition pour entrer dans un média … en revanche, demandez leur de réaliser un sujet avec un angle, c’est nettement plus compliqué … sans oublier que ces mêmes jeunes journalistes délaissent la lecture y compris de journaux … ils pensent qu’en maîtrisant le seul outil technique ils arriveront toujours à s’en sortir … ce qui, à mon avis est une erreur magistrale …
Et que pensez vous du traitement de cette actualité selon les chaînes et selon les pays ?
Ca manque en général de points de vue extérieurs … nous possédons en France un tissu de spécialistes qui sont compétents dans bien des domaines, allons les voir …
Y a-t-il un sujet d’actualité qui vous intéresse plus que d’autres ?
La politique en général … qu’elle soit intérieure ou extérieure … c’est d’ailleurs ce que je lis en premier … je parle bien de la politique … pas de sujets consacrés à des hommes politiques sur leur omniprésence dans les médias, leurs bourrelets, leur joli maillot de bain, leur formidable teint hâlé obtenu grâce à une exposition prolongée sur une plage paradisiaque, etc …
Comment voyez vous l’évolution du métier de journaliste ? Pensez vous que les journalistes seront plus « libres » dans l’avenir ou tout le contraire ?
Et bien si on continue à privilégier davantage la forme sur le fond – je parle de la télévision – alors je suis pessimiste … il est énervant d’entendre certains rédacteurs en chef dire « c’est trop compliqué », « ça n’intéresse personne » … cela vient souvent de gens qui sont déjà fatigués à peine levés … je redoute « l’infotainement » … concept venu tout droit des Etats-Unis associant information et entertainment … info et distraction … je n’aime pas le mélange des genres … si cette tendance persiste on va à la catastrophe … je pense qu’il y a de la place pour un journalisme rigoureux dans le fond et provocateur dans le forme … en plus qui dit que les journalistes sont de plus en plus libres ? le pouvoir … ce qui devrait déjà être entendu avec méfiance …
La télé actuelle en général, vous en pensez quoi, est ce la vente de produits à des cerveaux disponibles ?
C’est parfois la vente de produits à des cerveaux disponibles … mais on peut fournir autre chose à ces cerveaux …
Quels sont vos projets futurs, en télé ou ailleurs ?
Ecrire un livre … continuer à donner des cours à l’université …
Une question d’entretien d’embauche : où vous voyez vous dans 10 ans ?
je l’ignore … je vis assez au jour le jour …
Que regardez vous à la télé, si vous en avez une, grands films, doc, séries ?
Je la regarde assez peu pour être franc … j’aime bien l’info d’une manière générale, que je suis avec plaisir … quelques DVD de temps en temps.
Quelles sont vos passions ?
les passe-temps : la littérature, la littérature et toujours la littérature … et je me suis remis au piano …
Question musiques, votre dernier CD acheté (ou téléchargé) ?
Je ne télécharge plus – je ne peux lutter contre la presse gratuite et télécharger illégalement, c’est une question de logique … derniers CD achetés : Ricardo Tété, David Linx, extraordinaire chanteur de jazz et Tord Gustavsen Trio chez ECM … mais j’aime beaucoup le rock surtout – Mogwai, Rachel’s, Sigur Ros, Raphelson – …
Étes-vous mer ou montagne ; ville ou campagne ?
Ville … de préférence grande, très grande …
Bientôt « OctoberFest », avec vos collègues d’Arte vous y faites une descente?
Non, les gens bourrés qui à la fin de la soirée passent tout leur temps aux toilettes ou mangent les fleurs disposées sur la table, très peu pour moi … et puis cela représente très peu l’Allemagne pour moi …
A ce propos êtes-vous bilingue Français-Allemand ?
Oui même si je perds mon allemand depuis mes études germaniques … mes collègues allemands font tous l’effort de parler français … tout le contraire des Français …
Comme le veut la tradition sur Arte Info, un petit mot dans la langue de Goethe pour clore cette interview ?
Werde, der du bist … deviens celui que tu es … Goethe …
Kenavo !
par Damien D.
Grand merci à William pour les réponses riches et sans détour
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