Crée en 1986, l’Agence internationale d’images de Télévision (AITV) vit depuis quelque temps sous la menace d’une fermeture annoncée en septembre dernier par France Télévisions. Si le groupe audiovisuel public met en avant des économies structurelles, les syndicats pointent du doigt le sort des correspondants africains et la place de l’actualité africaine dans les médias. Face à cette décision, les syndicats et les salariés se mobilisent et multiplient les actions de sensibilisation…
Au mois de septembre 2013, Thierry Thuillier, directeur de l’information de France Télévisions, a annoncé son intention de fermer l’AITV. Les raisons de cette décision ? Elles sont principalement économiques dans le cadre des restrictions budgétaires auxquelles le groupe public doit faire face. Les syndicats, dont le SNJ, ne l’entendent pas de cette oreille. L’AITV n’est pas une agence comme les autres. Ses missions ont été définies par les politiques lors de sa création, il y a 28 ans. Sa fermeture laisserait sur le carreau ses 30 correspondants en Afrique. Ainsi, les syndicats ont commandé un audit de l’AITV en octobre 2013. Et, depuis sa restitution le 21 mars, ils multiplient les actions. Le 2 avril, ils ont menacé de perturber le déroulement du JT de 20h de France 2 – ce qu’ils n’ont pas fait au final -. Le 15 avril, ils ont manifesté devant le siège de Reporters sans frontières pour sensibiliser l’association. D’autres actions seront sans doute menées…. Outre les enjeux sociaux-économiques se pose aussi la question de la place l’actualité africaine, déjà trop rare dans nos médias, qui là, perdrait un canal de diffusion.
L’AITV, 28 ans de reportages et d’Afrique
L’AITV, Agence internationale d’images de télévision a été crée en 1986 à l’issu du 1er Sommet de la Francophonie de Versailles sous le gouvernement Fabius, le même Fabius que maintenant… L’objectif ? « La création d’un « véritable espace audiovisuel francophone » (…) pour éviter que toutes les images circulant dans le monde soient de provenance anglo-saxonne. » rapporte le Midi-Libre dans son édition du 20 février 1986. Des crédits sont alors débloqués pour alimenter ce service. L’AITV est rattachée à RFO. Et, les chaînes africaines qui devaient bénéficier de ce service ont été choisies directement au sein des ministères. Courant 1986, le gouvernement change. Fabius laisse place à Chirac. Le projet n’en a pas subi de conséquences particulières. En 1989, avec le développement des satellites de télécommunications, une nouvelle structure, CFI (Canal France International) voit le jour afin de fédérer toutes les productions d’images vers les télévisions étrangères. « Avant, quand il n’y avait pas encore les satellites de télécommunications, les films issus des reportages transitaient par la valise diplomatique » explique Didier Givodan, responsable du SNJ. CFI se voit alors chargé du dispatche général des images et doit travailler avec l’AITV qui lui fournit les contenus en français, en anglais et même en espagnol pour toucher l’Amérique du sud. Pendant plusieurs années cela va fonctionner globalement de cette manière… Fin 2006, France 24 fait son apparition. Une nouvelle organisation de la stratégie médias à l’externe est réalisée en 2009 sous la présidence Sarkozy. Il y a TV5Monde d’un côté, l’AEF (Audiovisuel extérieur de France) regroupant France 24, RFI et Monte-Carlo Doualiya de l’autre. Dans ce jeu de chaises musicales sur fond d’actus internationales, l’AITV reste dans le giron de France Télévisions. Depuis, l’agence va au-delà de sa mission initiale de coopération au service des télévisions du Sud, en fournissant des images à France 24 et à TV5Monde. L’AITV travaille aussi directement pour les chaînes de France Télévisions en réalisant quotidiennement le journal Info>Afrique, diffusé tous les soirs sur France Ô et Dailymotion, ainsi que des sujets pour les chaînes Outre-mer 1re.
Chronique d’une disparition programmée
Maintenant que vous connaissez l’histoire de l’AITV et les principaux protagonistes, passons à l’affaire à l’origine de cet article : la décision de la fermeture de l’agence. France Télévisions se trouve depuis quelques mois dans une logique d’économies suites aux restrictions budgétaires. Le groupe a d’ailleurs mis en place un plan de départs volontaires s’étalant jusqu’en 2015 (Challenges du 28 août 2013). Pour le cas AITV, Frédéric Olivennes, directeur de la communication extérieure à France Télévisions, justifie la décision de fermeture par les arguments économiques et structurels « Vu le budget de France Télévisions, le groupe doit se recentrer. Il n’a pas vocation à soutenir financièrement une agence. Ce n’est pas gérable d’autant plus que le CFI a retiré sa participation financière dans l’AITV. France Télévisions ne peut assumer seul de porter cette agence. De plus, l’enjeu d’une agence de presse est de vendre des contenus, or ce n’est pas le métier de France Télévisions » Suite à l’annonce de la fermeture, et à cette justification financière, les syndicats ont demandé un audit de l’AITV. Il a été mené par Madame Françoise Miquel, déjà auteure d’un précédent audit de l’agence. Ce rapport a été rendu le 21 mars dernier. Parmi les conclusions, il montre que l’AITV est déficitaire, mais pas autant que le disait France Télévisions dans sa première étude. Une situation que le SNJ ne conteste pas mais rapporte que ce travail d’audit n’est pas réalisé à tous les niveaux « On ne demande pas à France 2 ou France 3 de faire des bénéfices mais de respecter un budget » déclare Didier Givodan. Ce même rapport souligne par ailleurs la compétence de l’AITV. N’oublions pas non plus que l’AITV a été lancée, par les pouvoirs publics, pour assumer une mission de coopération avec les télévisions du Sud, en particulier d’Afrique. La comparaison avec une agence de presse est discutable dans le sens où elle remplit, d’une certaine manière, un service public.
Didier Givodan enchérit sur le fait que supprimer l’AITV ne fera pas faire des économies, bien au contraire « Les sujets de l’AITV sont multi-diffusés et constituent au quotidien des exemples concrets de synergies entre différents opérateurs publics France Télévisions, France24, TV5Monde. Supprimer l’AITV imposerait à chacune de ces chaînes de produire en parallèle les sujets que l’agence propose aujourd’hui à toutes. Est-ce cela l’optimisation de la ressource publique ? » Autant de points qui font dire au SNJ que le sujet est avant tout politique et non économique. Et du côté des politiques ? C’est plutôt silence radio…
« Les africains ont été oubliés »
Si le SNJ n’est pas opposé à revoir la structure de l’AITV, c’est surtout le sort réservé aux correspondants africains qui suscite de vives réactions. Il faut savoir que sur le plan humain, l’AITV c’est une rédaction basée à Malakoff, en proche banlieue parisienne, réunissant 33 personnes, dont 5 pigistes, et un réseau de 30 correspondants en Afrique. Frédéric Olivennes (FranceTélévisions) se veut rassurant sur la question du reclassement « Les personnels de Malakoff seront reclassés au sein du groupe. Ils peuvent prendre part au plan de départ volontaire engagé, s’ils veulent partir ». Mais cela ne concerne que les 28 personnes de la rédaction. Le sort des pigistes… est celui des pigistes, « intérimaires » du journalisme. Quant aux 30 correspondants africains, ils ont visiblement été ignorés dans l’affaire. Et sur ce point, « Un recours devant le tribunal administratif pourrait être fait » précise le délégué du SNJ.
Et l’actualité africaine dans tout ça ?
Logiques économiques, structurelles, oui mais qu’en est il de la logique éditoriale dans cette histoire ? L’AITV est spécialisée dans l’actualité africaine. Elle produit chaque jour 4 à 5 sujets en français et en anglais et ce 365 jours par an. Les reportages tournés par les correspondants africains sont montés à Paris, ce qui leur assure une certaine sécurité. Or fermer l’AITV, c’est se priver de cette matière, et ce serait aussi la fin du JT Info>Afrique de France Ô. On le déplore, l’actualité de l’Afrique ne fait pas souvent partie de nos JT de 20h, ou alors seulement en cas de conflits graves. Difficile pour le continent africain de ne pas être ainsi enfermé dans les clichés qu’on lui donne. Le public ainsi que la diaspora africaine présente en France ne semblent pas compter, comme le souligne le délégué syndical « Personne n’a demandé son avis aux téléspectateurs, aux africains ! Et pourtant supprimer le JT Info>Afrique c’est contraire au cahier des charges de France Télévisions qui prône l’ouverture ». De son côté, Frédéric Olivennes rappelle « FranceTélévisions n’a pas l’intention de diminuer la place de l’actualité africaine. » Ceci dit, le JT Info>Afrique a été longtemps diffusé entre 19h30 et 20h sur France Ô, mais depuis septembre 2012, il a été relégué à des heures indues et souvent variables d’un jour sur l’autre entre 00h et 1h du matin. Ainsi marginalisé, ce JT n’a pas été aidé pour trouver son public et toute la reconnaissance qu’il mérite. On peut alors légitimement douter de l’intérêt porté à l’actualité du continent africain ainsi qu’aux téléspectateurs que cela intéresse.
Quant à la fourniture de sujets pour les télévisions africaines, première mission de l’AITV, la position de CFI est « Qu’elles peuvent produire elles-mêmes leurs sujets » rapporte Didier Givodan. Mais les chaînes africaines n’en ont pas les moyens…
A l’heure où des chaînes comme Al-Jazzeera se développent de plus en plus en Afrique, la fermeture de l’AITV et la perte de son réseau de correspondants pourraient avoir de lourdes conséquences sur l’indépendance de l’information en provenance de ce continent…
A la date de publication de cet article, l’AITV bénéficie d’un sursis jusqu’à fin novembre 2014.
Par Damien D.
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