Aude Lechrist a participé au lancement de France 24. Elle nous a accordé une interview qui nous permet de mieux la connaître à travers son travail, son goût pour l’esthétisme et l’écriture, il est question aussi de Paris, de ses rues qu’elle étudie sans cesse. Un entretien fort intéressant.
Aude, le grand public vous connaît peu. Commençons par notre première question traditionnelle. Pouvez vous nous décrire votre formation et votre parcours professionnel jusqu’à aujourd’hui ?
Lorsque j’étais étudiante en histoire à Angers, je voulais découvrir le journalisme, être confrontée à la réalité du terrain. C’est pourquoi je suis allée à Ouest France réputé pour faire appel à des étudiants pour couvrir les rencontres sportives du week-end. J’ai frappé à la porte du Rédacteur en Chef des Sports du quotidien en lui disant « écoutez, je n’ai jamais écrit de papier, je n’ai jamais fait de journalisme, mais je pense que c’est le métier que je veux faire. Est-ce que je pourrai essayer ? ». Il a accepté et c’est comme ça que je me suis retrouvée à suivre des matchs de hockey sur gazon, un sport que je ne connaissais pas du tout. Ensuite, je n’ai jamais cessé d’être journaliste tout en poursuivant mes études : j’ai étudié l’histoire de l’art, l’histoire et la communication. J’ai fait un stage au Figaroscope au service culture puis les chaines de cinéma : Ciné info, Ciné Cinéma. Après j’ai enchainé avec I-Télé. Je suis entrée pour un stage de 3 mois et j’ai quitté la rédaction près de 4 ans plus tard pour France 24. En fait j’ai été éduquée avec la radio, la presse écrite et surtout sans télévision, alors être journaliste pour la télévision aujourd’hui, c’est de la science fiction ! Présenter les informations, je n’en ai jamais rêvé.
Vous ne vouliez pas en faire ?
Non. La direction de la rédaction m’a un peu mis devant le fait accompli. J’avais postulé pour travailler au desk, faire du reportage, mais dès les premiers entretiens, ils m’ont dit « on te demandera sûrement de faire de l’antenne ». Et ne pas en avoir envie, ne pas être demandeuse a été ma chance. Je n’avais aucune pression. Si je me plantais ce n’était pas grave, je retournais à ce que j’aimais faire. Et puis ils m’ont laissé à l’antenne, et m’ont fait confiance. Et j’ai commencé à aimer l’antenne, l’information en continue et surtout le breaking news. Parce que c’est inattendu. Je pense notamment à un breaking news au Pakistan. A l’origine, il y a l’urgent, la dépêche, quelques mots : « Rawalpindi, rassemblement politique, coups de feu » puis le nom de Benazir Bhutto apparaît, des témoins indiquent qu’elle a été blessée, et pendant ce temps là, des images arrivent, on reste en direct, on tient l’antenne, jusqu’à l’annonce de sa mort et l’impact que cela va avoir sur l’avenir politique du pays. Les Breakings news font appel à sa capacité à analyser, à sa réactivité. C’est tout l’enjeu avec les chaines d’infos : l’information en continu est au présent. Il faut faire attention à ses propos, on a tendance à oublier que l’information va s’inscrire dans un passé et que tout est mémorisé et il ne faut pas se laisser exciter par ce présent.
Avez-vous une spécialité en particulier ?
J’ai plus de sensibilité pour l’actualité internationale car ce sont les enjeux globaux qui m’intéressent. C’est un défaut, mais je ne suis pas attirée par le fait divers qu’il soit français ou international.
Vous êtes actuellement à l’antenne le vendredi soir pour Paris Direct et le week-end à partir de 21h. Mais aussi du magazine Une semaine au Maghreb. Est-ce que vous pouvez nous décrire une journée type au bureau ?
Le vendredi, je fais une double journée. J’arrive, j’écris mon magazine, je regarde les sujets. Concrètement, c’est le maquillage (14h) puis l’enregistrement de l’émission (15h) qui dure une demi-heure généralement.
Ensuite commence la vacation de Paris Direct, seule puis avec mon chef d’édition à partir de 18h. Je regarde l’actualité qui a été traitée, les sujets qui ont été lancés pour la soirée, quelles sont les thématiques pour le focus (ndlr : à 21h17), le journal de l’économie (ndlr : à 20h17). Je vais voir le chroniqueur sportif pour savoir quels vont être les teasers. Je regarde les infos, je lis beaucoup de dépêches. Ensuite on a une pré-conférence de rédaction qui détermine ce qu’on aura comme duplex, comme téléphones, comme invités. Ensuite je prépare mes interviews pour le focus. Il faut que tout soit prêt et bouclé vers 19h45 car à 19h55, je fais le teaser avec Jean-Bernard Cadier (ndlr : présentateur du Débat de 19h à 20h du lundi au vendredi sur France 24). Car Paris Direct, c’est toute une soirée d’information qui s’inscrit dans la continuité. Je reste à l’antenne jusqu’à 0h00 en direct ou 0h30 si l’actualité l’exige. Enfin bon, j’ai décrit une soirée où tout serait prévu mais en fait, il y a plus souvent d’imprévus… Car ça reste de l’information en continu. Le samedi et dimanche, c’est plus calme. Là j’arrive à 17h à la rédaction. Je file immédiatement au maquillage et à la coiffure comme ça je n’ai plus à y penser, je suis débarrassée. Les informations se font au dernier moment, donc il faut pouvoir s’y consacrer totalement, ne pas être dérangée par le vernis, nécessaire mais vernis tout de même. Le premier journal est en revanche à 21h et le dernier à 1h30 du matin.
Un petit mot sur les personnes qui vous accompagnent à l’antenne, Stéphanie Antoine, Sylviane Bähr ?
Stéphanie Antoine, c’est notre chroniqueuse économie. Elle est là depuis le tout début, tout comme moi. J’aime beaucoup Stéphanie car elle est extrêmement sérieuse et précise, mais elle a toujours les yeux qui frisent et elle a cette capacité à partir dans un demi-sourire pour parler d’une information plus légère. C’est ce dosage là que je trouve très agréable. Sylviane est arrivée en même temps que moi en tant que reporter en desk. Puis elle s’est trouvée immédiatement une affinité pour l’économie (ndlr : lire l’interview de Sylviane Bähr). Elle a demandé à se spécialiser dans ce domaine et donc elle remplace très régulièrement Stéphanie. C’est une fille qui est polyglotte, elle aime beaucoup voyager, elle est passionnante !
« Il faut vraiment qu’il y ait un gros événement en France
pour qu’on le traite dans les titres »
Vous travaillez donc à France 24, chaine d’information française mais visible à l’international. En quoi cela change d’I-Télé où vous avez également travaillé ?
Ah ça n’a rien à voir ! Parce que France 24 est en continu. Nous sommes 24h sur 24 alors qu’I-Télé rediffuse entre 0h00 et 6h00 du matin. I-Télé initialement avait laissé une bonne part à l’actualité internationale. Et c’est une part qui s’est réduite au fil du temps. A France 24, on est vraiment tourné vers l’international. Il faut qu’il y ait un gros événement en France pour qu’on le traite dans les titres : l’affaire Bettencourt, des procès pour des caricatures du prophète Mahomet. Voilà c’est surtout cette contextualisation internationale qui est importante alors qu’en France, I-Télé et BFM TV pensent principalement « hexagone ». Nous, on est beaucoup plus global. On est en permanence sur des interactions géostratégiques entre la France, l’Afrique, la Chine, les Etats-Unis…
Justement, en juillet dernier, nous avons interviewé Patricia Loison (ndlr : lire l’interview de Patricia Loison) qui regrettait ce choix éditorial, l’absence d’actualité internationale, depuis son départ de I-Télé.
Je l’ai peu connue, car elle est arrivée quand je partais. C’est vraiment elle qui a porté l’International à l’antenne à I-Télé et avec son départ, l’ambition retrouvée semble avoir sombré. Il me semble que France 24 est davantage un référent quand on cherche une information internationale, un débat international…
Et comment définirez-vous le ton I-Télé ?
Difficile de répondre aujourd’hui à cette question.
Quand je suis entrée à « I » en 2003, c’était évident, il y avait un ton, une impertinence. C’était l’époque de Bernard Zekri et de David Dufresne. J’ai été formée par David Dufresne. David tout comme moi, venait du terrain, il n’a pas fait d’école de journalisme. Et l’école du terrain est rude. En fait, j’ai beaucoup été formée par des hommes qui venaient du terrain. A France 24, c’était Bertrand Coq. Si David m’a appris l’écriture, Bertrand m’a donné les clefs de l’image. Ils ont fait attention à ce que je ne reproduise pas les tics de journalistes « sortie d’école ». Leur méthodologie, les formules galvaudées ou les facilités de langage. Ils m’ont appris à mettre en valeur une image et à écrire très peu et n’ont eu cesse de me rappeler que la télévision, c’est de l’image. Mettre trop de texte dans un sujet, c’est endormir l’image. Et en présentation, c’est pareil. Il ne faut pas faire 30 secondes de lancement. Le sujet est là pour expliquer les choses. Je ne suis pas là pour prouver que je suis intelligente, mais pour servir une information et c’est primordial. Il faut rester extrêmement humble. On n’est pas là pour nous mettre en scène mais pour donner de l’information, et certains l’oublient…
Avec ce qui se passe en Côte d’Ivoire, n’est-il pas difficile de traiter la Présidentielle et l’après Présidentielle, dans un pays où France 24 a une forte importance ?
Ce n’est pas difficile dans la mesure où on fait notre travail de journaliste. On reste dans le factuel, on n’éditorialise pas. On donne la parole aux deux camps. Par exemple, au moment des résultats, j’alternais le nom des deux candidats à chaque lancement afin de pousser au bout l’équité. Maintenant il faut être en permanence prudent. Quand on reçoit les images de tel camp, il faut évidemment contrebalancer de l’autre côté même si on n’a pas les images de l’autre camp, il faut en parler. Sinon on est dans un déséquilibre de l’information. Mais si parfois la tâche est compliquée, c’est surtout pour nos envoyés spéciaux et nos correspondants, pour leur sécurité car on est très regardé, ils sont reconnus. En dehors de ça, on n’a pas de pression particulière. On peut recevoir des coups de fil, ça n’est pas le problème. Personne ne m’ordonne de faire plus attention à un candidat ou à un autre, l’équilibre à l’antenne est une évidence, les accusations de complot une absurdité.
Personne n’est là pour vous dire, la France a choisi Alassane Ouattara, il faut en parler ?
Non, ce qu’on donne c’est le factuel.
France 24 est très regardée en Afrique. Et on m’a dit que vous êtes surnommée la Joconde par des téléspectateurs africains.
Pas qu’eux d’ailleurs. Oui on me le dit assez fréquemment. Je réponds que c’est très vexant car il semblerait que la Joconde soit un homme. Mais ça ne me surprend pas non plus car plus jeune, mon père disait que je ressemblais à un tableau du Quatrocento. Ca ne veut pas dire que ça me fait plaisir. (Rires).
« C’est important de cultiver cette créativité là »
Vous avez donc votre travail de journaliste à France 24, mais vous sévissez également sur la toile avec un blog audelechrist.com. Présentez nous votre blog qui parle de la poésie urbaine et des tendances.
Je suis naturellement curieuse et j’ai un sens critique très fort, et raconter les gens que je rencontre dans la vie me plait. Avant le journalisme, j’ai commencé à écrire des romans. La démarche de mon blog vient d’abord de la création et de la littérature. Donc c’est plus une démarche littéraire qu’une démarche spontanément journalistique. Récemment un ami m’a mis au défi de m’appuyer sur ce support, et comme j’aime bien les défis, je l’ai fait. Le terme de « poésie urbaine » s’est construit par le contenu avant que je mette un mot dessus. Tout m’intéresse comme l’histoire de l’objet qui a atterri dans le caniveau. Toutes ces petites histoires qui sont le fondement du journalisme. Le journalisme ce n’est pas autre chose que de raconter des petites histoires. Sauf que dans le blog c’est imaginaire alors que sur France 24 c’est du réel et du factuel. J’ai besoin de ce blog, d’écrire ces petites chroniques. Je pars dans la fiction à partir de photos que j’ai prises et j’invente des histoires autour. C’est important de cultiver cette créativité là.
Comment réalisez-vous vos shooting photos ? Que ce soit au niveau des chaussures et des allures ? Vous demandez aux passants ?
Parfois j’arrête les gens sinon je n’ai qu’une image floue. Je leur parle de mon blog et comme je ne photographie pas leurs visages, ils acceptent spontanément. Pour les allures, je ne leur demande pas, car je pense que je perdrais énormément en spontanéité en leur demandant de poser. Plein de blogeuses le font bien, moi ce n’est pas mon propos. Ce n’est pas du tout un blog de mode. Je ne cite pas de marques sauf pour le Daily Shoes où ce sont des personnes qui me présentent leur semaine en chaussures, avec leur choix, leurs histoires. Il n’y a jamais de photos dégradantes pour les allures. Je ne dis que des choses positives. Il y a tellement de choses positives à raconter.
Vous êtes Tourangelle d’origine, et Parisienne d’adoption. Vous qui sillonnez notre capitale et d’autres comme Copenhague, comment vous qualifierez Paris par rapport à d’autres villes du Monde ?
Je dirai que Paris est une ville assez conservatrice. Et ça je ne l’ai ressenti que par opposition avec New York. Parfois je me sens étouffée à Paris car c’est une ville qui n’a pas une énergie folle et qui manque de créativité et de folie. On le voit en ce moment avec le débat des nuits parisiennes et des difficultés à sortir à Paris. Oui, Paris est une ville institutionnelle et conservatrice qui parfois essaye de sortir des clous, mais sans succès. On trouve beaucoup plus de folie bizarrement à Montréal. C’est incroyable le nombre de gens que je vois aller s’installer à Montréal, des quadras avec leurs enfants, des jeunes qui se disent « Je ne peux pas travailler en France, alors je pars à Montréal. » New York c’est une évidence malgré une forte tendance à l’embourgeoisement mais il y a une telle mixité là-bas que je pense que ça va l’en prémunir. Peut-être que ce conservatisme est généré par l’argent. On le voit à Paris, où être propriétaire est quasiment impossible pour notre génération. Et donc cette diversité devient de plus en plus rare. On la retrouve encore dans le 20°, le 19°, le 18°, le 11°… Je ne dis pas que Paris doit devenir violent, sale et dégueulasse, mais je suis toujours heureuse de trouver des tags dans la rue, des déchets dans les caniveaux, et ce sont des histoires qui se racontent.
Vous avez un blog et dans un de vos billets, vous dézinguer Facebook (voir le billet du mardi 17 novembre titré Nirvana, sur le côté grunge). N’est-ce pas paradoxal ?
Je ne raconte rien de personnel sur mon blog, à part le premier billet sur la cigarette. Je raconte mes impressions et je m’appuie sur ce que je ressens pour raconter un peu l’air du temps. Mais avec Facebook, on est dans l’hyper instantané et ce mode de fonctionnement si je l’ai dans l’information en continue, je le refuse dans ma vie personnelle. Après ce sont des caractères. Moi je suis quelqu’un d’extrêmement solitaire. (Sourire). Au début j’avais un compte Facebook comme tout le monde. Au début j’acceptais comme ami des téléspectateurs, et puis quand je n’acceptais plus, je recevais des mails du type « vous ne m’acceptez pas comme ami, nous aurions pu… ». Et ce retour des téléspectateurs quand je présente des informations est assez déstabilisant. Je ne veux surtout pas penser qu’il y a des gens qui me regardent et qui projettent des choses sur moi car je perdrais ma neutralité, mon objectivité. Parfois je reçois des cadeaux insolites. Une fois, un téléspectateur m’a envoyé des gouttes pour les yeux avec une lettre d’amour « Vous semblez fatiguée, prenez soin de vous ». C’est gentil spontanément, mais ça peut paraître parfois effrayant. Et moi ce contexte là me met très mal à l’aise. Ce n’est pas dans ma nature. Je me protège énormément, je n’aime pas raconter ma vie, je n’aime pas raconter les détails de ma vie. Tout simplement. Et je souhaite consacrer mon temps libre à la lecture ou encore marcher dans la rue et non pas à regarder ce que font « mes amis » sur facebook au même moment parce qu’en plus c’est chronophage!
Que pensez-vous des fameuses captures d’écran qui sont faites sur vous ?
J’ai découvert ça récemment. Je suis surprise de l’énergie et du temps que les gens peuvent passer à faire ça. J’avoue que ça me déstabilise. Ca n’est ni négatif, ni positif dans la mesure où ça n’interfère pas avec ma vie privée contrairement aux commentaires Facebook puisque dans ce cas les gens viennent et m’interpellent. Là ce n’est pas le cas, et c’est plutôt gentil et charmant, mais je ne cherche pas à créer un lien, donc ça ne me vient pas à l’esprit d’aller voir.
Justement certains commentaires vous reprochent d’être trop souvent habillée de noir.
(Rires) J’ai un directeur d’antenne qui me le dit très souvent. C’est par facilité en fait. Mes couleurs de base dans la vie de tous les jours, sont le marron, le noir et le bleu marine. Je suis d’un pathétique absolu. Alors parfois je mets des couleurs, je rassure tout le monde. J’ai quelques robes qui sont rouges ou vertes. Mais oui vraiment, c’est par facilité. En fait, j’aime la sobriété. Si j’avais un mantra ce serait « esthétisme et sobriété ». C’est pour ça aussi que je suis toujours coiffée de la même façon, les cheveux lâchés, le maquillage est très sobre, je porte des robes très simples pas compliquées et le noir c’est la facilité. Mais je prends sur moi pour ne pas porter deux robes noires deux soirs d’affilée !
Comme il est de coutume lors de mes interviews, je vous laisse le mot de la fin. A vous de conclure.
Dernier mot…. Si vous voulez vous amuser en cette période d’hiver qui est assez austère, je vous recommande un livre qui s’appelle « Le Manifeste chap » (ndlr : écrit par Gustave Temple & Vic Darkwood). C’est un manifeste anarcho-dandy qui est un mouvement britannique très sérieux et ce livre est extrêmement drôle. Je me suis beaucoup gondolée dans le métro. Ca m’a aéré l’esprit. Comment être courtois et politiquement incorrect, je crois que ça me résume assez bien (rires).
Retrouvez Aude Lechrist sur France24 le vendredi dans Paris Direct et à la présentation des journaux du week-end dès 21h. Mais également à la présentation du magazine Une semaine au Maghreb.
Merci Aude pour cet entretien très intéressant et très instructif.
par Rémi L.
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